[Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
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[Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
[Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
L’homme qui savait la langue des serpents
Andrus Kivirähk
Traduit de l’estonien par Jean-Pierre Minaudier
Editions Attila
430 pages
Janvier 2013
4ème de couverture :
Mais il n'était pas question de revenir en arrière. J'étais là, au cœur de la folie moderne, et mon destin était d'y demeurer jusqu'à la fin de mes jours.
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"L'Estonie, l'une des dernières régions païennes d'Europe, a été conquise au début du XIIIe siècle, dans le cadre d'une croisade, par des chevaliers-prêtres allemands, ancêtres des chevaliers teutoniques, arrivés par la mer. Durant tout le moyen-âge, l'élite est demeurée germanophone et très largement ecclésiastique (chevaliers-prêtre célibataires, moines et nonnes).
Dans les mythes nationalistes du XIXe et du XXe siècle, les Estoniens de la préhistoire, c'est-à-dire d'avant l'invasion allemande, vivaient unis, libres et heureux, en accord avec la nature à laquelle ils rendaient un culte. Ils étaient censés être "un peuple de la forêt" par opposition aux occidentaux, peuples d'agriculteurs, et aux cavaliers nomades des steppes orientales." (Note du traducteur)
Après ce préambule du traducteur, attachez vos ceintures, éteignez vos portables et direction le monde de la forêt !!!! Mais comment résumer un tel ouvrage ? Andrus Kivirähk nous a concocté, aux petits élans, une fresque époustouflante, ébouriffante.
Au moyen-âge, en Estonie, les Chevaliers allemands ont christianisé le pays. Depuis, les estoniens, enfin de plus en plus, vivent dans des villages, les chevaliers dans des forts, les moines dans des couvents fortifiés (et les cochons seront bien gardés). Les villageois admirent et vénèrent ceux qui leur ont « apporté » le modernisme et la foi chrétienne. Visualisez un village normal, les hommes chassent, les femmes tissent (ça vous dit quelque chose). Ils ont tous oublié la langue des serpents ! Maintenant imaginez l’incrédulité de Leemet, homme de la forêt, qui n’a qu’à siffler pour que les animaux lui obéissent et courbent l’échine pour se laisser tuer. « Ce qui est humiliant c’est d’avoir tout oublié, comme ces jeunes chevreuils et sangliers qui éclatent comme des vessies en entendant les ordres, ou ces villageois qui se mettent à dix pour attraper un seul animal. C’est la sottise qui est humiliante pas la sagesse. »
Pour parler la langue des serpents, il faut muscler sa langue. Ce dur apprentissage Leemet l’a fait avec son oncle et il sera le dernier homme à la pratiquer. Leemet, à l’instar de ses amis les serpents connaîtra aussi plusieurs mues très douloureuses pour l’amener à la sagesse…. Les passages de notre vie qui nous construisent et que nous connaissons aussi.
Leemet connait sa forêt sur le bout des orteils et nous le suivons avec passion lors de sa rencontre avec les deux derniers, anthropopithèques, Pirre et Rääk. Ces deux-là élèvent des poux et font même de la sélection jusqu’à obtenir un pou gigantesque. Les femmes de la forêt tombent sous le charme des ours qui leur offrent des airelles et autres babioles. Les humains et les animaux savent parler la langue des serpents et vivent en totale harmonie. Les humains élèvent quelques louves pour les traire et en boire le lait. Une vie qui pour Leemet n’est que plaisir, alors que les villageois doivent travailler pour se nourrir et se vêtir. La bataille, paysans versus cueilleurs-chasseurs sera perdue pour ces derniers la « modernité » remporte la victoire par abandons successifs.
Mais, il y a quand même le village et toutes ces jeunes filles qui batifolent. Leemet va les lorgner de temps à autre, surtout une. Il est tenté et le sait. Fuira-t-il, succombera-t-il ? Vous le saurez en lisant ce très bon livre qui m’a fait veiller jusqu’à 5 heures du matin, sans pour autant voir le temps passer.
Ce conte est plus qu’un conte, il est considéré comme un pamphlet dans son pays l’Estonie. Oui, ce livre parle du progrès et des abandons successifs de nos croyances anciennes. Oui, nous sommes tous le moderne de quelqu’un. Pour les anthropopithèques, Leemet est déjà trop moderne. J’ai un peu pensé à un certain village d’irréductibles gaulois !! Pourtant, ces petits villages estoniens ressemblent fort à nos villages, ceux que notre nostalgie rend plus beaux.
Tout n’est pas noir ou blanc, bon ou mauvais dans cette fresque.
Il y a ces contrastes entre le village qui parait clair, aéré et la forêt dense et sombre ; entre les villageois assujettis aux chevaliers allemands alors que le peuple de la forêt semble plus libre.
Par ailleurs, on peut relier Ülgas qui faisant des sacrifices pour calmer les génies de la forêt, du lac….. Jusqu’à un sacrifice humain, à Johannes qui voue une adoration sans borne à Jésus-Christ et aux chevaliers allemands, allant jusqu’à adorer le ventre rond de sa fille engrossée par un de ces chevaliers. « Mais cet enfant que je porte en mon sein, dès sa naissance il sera comme eux, car il a l’un de ces Jésus pour père ! Dans ces veines coule le sang de son père, le sang de Jésus ! Quel succès, quel honneur pour moi ! Il sera chevalier et je suis sûre que dès l’enfance il saura parler allemand comme son papa. Heureusement, il apprendra aussi l’estonien car je suis sa mère –sinon je ne pourrais pas lui parler. Ce serait bien triste ».
« « Il n’y a rien à faire » dit Johannes. « L’homme s’escrime, Dieu décide, Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir, mais la décision finale appartient toujours au Tout-Puissant »
On aurait dit Ülgas et ses génies sur qui il trouvait toujours moyen de rejeter ses erreurs ! Rien de nouveau sous le soleil. Les gens sont toujours en train d’inventer un quelconque croquemitaine pour se décharger sur lui de leurs responsabilités ».
L’adoration du Christ par les villageois, l’adoration des génies par une partie des gens de la forêt. On peut faire un parallèle entre les jeunes convertis, certains jusqu’auboutistes et les fanatiques musulmans : « Super, alors je serai mort en martyr et j’irai tout droit au Royaume des Cieux, et je m’assiérai à la droite du Fils. C’est un grand honneur d’être un martyr, on écrit des livres sur vous et on met votre image dans les églises. Imagine, petit père, que ton fils devienne un martyr ! »
Maintenant Leemet est seul dans la forêt. Peut-être se rappelle t-il les paroles d’un moine : « Même si tu connais la langue des serpents et si ce n’est pas la langue du diable, à quoi elle peut bien te servir au jour d’aujourd’hui ? Avec qui vas-tu la parler ? La jeunesse, c’est à Jésus qu’elle s’intéresse, tout le monde n’a que son nom à la bouche, c’est un succès phénoménal » Andrus Kivirähk parle de la solitude de celui qui a choisi de rester, d‘ailleurs la première phrase de ce livre est : « Il n’y a plus personne dans la forêt ». Il reste et ne comprend pas ceux qui sont partis au village, mais il est trop tard pour Leemet, depuis qu’il a appris et aimé la langue des serpents, il sait ou devine qu’il sera le dernier.
Andrus Kivirähk manie l’ironie, met dans la bouche des interlocuteurs un vocabulaire très moderne, décrit le christianisme comme un phénomène de mode, l’émasculation pour avoir la voix des castras et entrer dans les chorales comme le nec plus ultra : « Bien sûr que c’est le Christ. C’est l’idole des jeunes et mon idole à moi aussi ». Certaines scènes frôlent le fantastique, d’autres sont cruellement réelles.
Dans sa postface, Jean-Pierre Minaudier, le traducteur, apporte un éclairage plus précis sur ce livre et sur l’Estonie, pays balte que je ne connais pas du tout, de l’ogre russe, de l’envie de modernité viscérale des estoniens, pour oublier le communisme ?
Une fresque superbe qui, une fois lue, trotte dans la tête, alors on « refait le livre » comme d’autres « refont le match » et d’autres ouvertures arrivent. Je pourrais en parler jusqu’au bout de la nuit ! J’ai l’impression que cette chronique part dans tous les sens.
Vraiment un coup de poing dans le cœur. J’avais écouté avec plaisir l’entretien avec Frédéric Martin des Editions Attila qui parlait si passionnément de ce livre et je l’avais noté. Merci à Libfly de s’en être souvenu et de m’avoir permis cette superbe lecture dans le cadre de l’opération « Quelques nouveautés de la rentrée de janvier 2013 ».
Un seul conseil : lisez ce livre et ne confondez pas langue des serpents et langue de vipère !!!
Dernière édition par alexielle63 le Sam 4 Juil 2015 - 11:01, édité 2 fois (Raison : Suppression image non hébergée)
Re: [Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
Merci ma marraine zazy, je le mets dans ma Làl.
Je ne trouve pas que ça parte dans tous les sens, ta chronique est très bien!!!
Je ne trouve pas que ça parte dans tous les sens, ta chronique est très bien!!!
Invité- Invité
Re: [Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
Merci pour cette présentation Zazy : tu donnes vraiment envie de lire ce livre !
Sharon- Modérateur
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Emploi/loisirs : professeur
Genre littéraire préféré : romans policiers et polars
Date d'inscription : 01/11/2008
Re: [Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
Très belle critique de Zazy, c'est effectivement un très beau roman, d'une grande richesse et qui mériterait d'être lu et relu. Il n'apporte pas de réponse, il jette un regard critique et désenchanté sur le monde tel qu'il a été, est et sera sans doute, ballotté entre le passé forcément merveilleux qui génère des fanatiques de l'ancien temps et des vieilles idéologies tout aussi dangereux que les adeptes des nouvelles croyances qui expliquent tout et donnent des solutions à nos questions. Petite pique au passage sur la recherche à tout prix du statut social à travers la grossesse d'une paysanne par un seigneur, c'est du grand art. A conseiller donc à la fois pour l'écriture, l'histoire absolument abracadabrantesque et la philosophie qui s'en dégage.
Invité- Invité
Re: [Kivirähk, Andrus] L'homme qui savait la langue des serpents
Mon avis:
C'est ce dernier que l'on suit tout au long de ce roman, jeune, puis moins jeune, homme qui vit dans la forêt dans un temps médiéval imaginaire, auprès de sa soeur Salme, sa mère Linda, son oncle Vootele. Ce dernier lui apprend la langue des serpents, vestige d'une humanité de plus en plus révolue avec le départ des hommes vers le village, l'abandon des cultures ancestrales pour la chrétienté imposée par la colonisation allemande et la croyance la plus absurde. La langue des serpents a été inculquée aux humains par les vipères royales, et leur permet de pouvoir communiquer auprès des animaux et de vivre ensemble. Cette langue se perd nous dit le narrateur, car de génération en génération on ne l'a plus transmise, on ne l'a plus apprise. Les humains sont redevenus sourds aux sifflements de cette langue particulière, et les animaux ne sont plus que des ennemis.
Tout au long de ce roman nous baignons dans une atmosphère assombrie par la forêt vierge, simple comme une cueillette et fantasmagorique avec le mythe de la Salamandre, les femmes qui couchent avec les ours -de véritables tombeurs-, l'élevage de poux par les anthropopithèques... Je m'y suis immergée pleinement, et j'ai aimé les personnages, les doutes et les principes forts de Leemet, la langue des serpents si belle à entendre au-delà des pages.
L'écriture est belle, fluide, simple et nette. Il y a de très beaux passages, poétiques, sur la perte de soi et de l'autre, sur la forêt qui bruit. Le roman prend un nouveau tournant aux deux-tiers du livre, plus sombre, plus précipité, très fort émotionnellement. Il y a aussi une véritable ironie et un sens de l'humour dans les dialogues.
Il y a, tel que cela nous est décrit dans la postface, une vraie critique des idéologies qui consistent à vivre à la fois dans le passé (personnage d'Ülgas le "Sage du bois sacré" grand prêcheur des génies et autres ondins du bois) et la volonté de suivre comme des moutons de Panurge une certaine forme de modernité et l'appartenance à un groupe (évangélisation, culture de masse du peuple). Leemet est partagé entre ces valeurs, mais restera toujours fidèle à ses idéaux d'enfance.
Un vrai coup de coeur.
J'ai tout d'un coup une vraie boule au coeur de le laisser, cet homme qui savait la langue des serpents
Ma note: 10/10
Il y a quelque chose de marquant à lire ce roman. Je me sens, une fois l'avoir refermé, pour de bon j'entends -je ne relis jamais mes livres-, complètement à côté de mon environnement actuel. Tout d'un coup la réalité refait surface alors que je m'étais immergée, depuis plusieurs heures, à nouveau dans cette forêt estonienne, au milieu des serpents, des loups, des hommes de fer, des chrétiens et de Leemet.A présent que je dévide mon existence, si je ne savais pas que cela a réellement eu lieu, je dirais que ce n'est pas possible.
C'est ce dernier que l'on suit tout au long de ce roman, jeune, puis moins jeune, homme qui vit dans la forêt dans un temps médiéval imaginaire, auprès de sa soeur Salme, sa mère Linda, son oncle Vootele. Ce dernier lui apprend la langue des serpents, vestige d'une humanité de plus en plus révolue avec le départ des hommes vers le village, l'abandon des cultures ancestrales pour la chrétienté imposée par la colonisation allemande et la croyance la plus absurde. La langue des serpents a été inculquée aux humains par les vipères royales, et leur permet de pouvoir communiquer auprès des animaux et de vivre ensemble. Cette langue se perd nous dit le narrateur, car de génération en génération on ne l'a plus transmise, on ne l'a plus apprise. Les humains sont redevenus sourds aux sifflements de cette langue particulière, et les animaux ne sont plus que des ennemis.
Tout au long de ce roman nous baignons dans une atmosphère assombrie par la forêt vierge, simple comme une cueillette et fantasmagorique avec le mythe de la Salamandre, les femmes qui couchent avec les ours -de véritables tombeurs-, l'élevage de poux par les anthropopithèques... Je m'y suis immergée pleinement, et j'ai aimé les personnages, les doutes et les principes forts de Leemet, la langue des serpents si belle à entendre au-delà des pages.
L'écriture est belle, fluide, simple et nette. Il y a de très beaux passages, poétiques, sur la perte de soi et de l'autre, sur la forêt qui bruit. Le roman prend un nouveau tournant aux deux-tiers du livre, plus sombre, plus précipité, très fort émotionnellement. Il y a aussi une véritable ironie et un sens de l'humour dans les dialogues.
Il y a, tel que cela nous est décrit dans la postface, une vraie critique des idéologies qui consistent à vivre à la fois dans le passé (personnage d'Ülgas le "Sage du bois sacré" grand prêcheur des génies et autres ondins du bois) et la volonté de suivre comme des moutons de Panurge une certaine forme de modernité et l'appartenance à un groupe (évangélisation, culture de masse du peuple). Leemet est partagé entre ces valeurs, mais restera toujours fidèle à ses idéaux d'enfance.
J'ai adoré ce livre, sa fougue, son imaginaire, son sens sous-jacent, ses propos, ses visions, bref, c'est un excellent moment de lecture teinté de réflexion.Aujourd'hui j'ai bien honte de comportement: les êtres aussi bêtement timides, pas étonnant qu'ils disparaissent. En ce temps-là nous n'étions encore que des ombres au crépuscule, qui s'étendent avant de mourir. Moi, j'ai disparu: nul ne sait plus que j'existe.
Un vrai coup de coeur.
J'ai tout d'un coup une vraie boule au coeur de le laisser, cet homme qui savait la langue des serpents
Ma note: 10/10
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