[Auster, Paul] Tombouctou
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[Auster, Paul] Tombouctou
Tombouctou
Paul Auster
Babel - Actes Sud
septembre 2019
Parution originale 1999
Titre original Timbuktu
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christine Le Bœuf
210 pages
ISBN : 978-2-330-12642-1
Paul Auster
Babel - Actes Sud
septembre 2019
Parution originale 1999
Titre original Timbuktu
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Christine Le Bœuf
210 pages
ISBN : 978-2-330-12642-1
Résumé de couverture :
Dès le premier chapitre de ce roman, on sait qu’est imminente la mort de Willy, le maître de Mr Bones, un chien des rues. Willy erre dans Baltimore à la recherche d’une de ses anciennes institutrices à laquelle, avant de mourir, il voudrait confier son chien et l’œuvre de sa vie. Mais il mourra sans avoir pu assurer l’avenir de ses écrits ni celui de Mr Bones qui se retrouve donc livré à lui-même, privé de celui qui représentait à ses yeux la raison d’être de l’univers et qu’il imagine parti pour Tombouctou, l’au-delà des bienheureux. Les harangues que Willy mourant adresse à son camarade chien, ses monologues, de même que les souvenirs que Mr Bones garde des méditations et fantaisies poétiques de son maître donnent à cette fable romanesque une teinte d’humour et de mélancolie.
Mon avis :
Je me rends compte après coup que j'ai abordé la lecture de ce roman sans lire le résumé de quatrième de couverture : bien m'en a pris, car ce beau roman qui nous place dans le vécu d'un chien, Mr Bones, mérite d'être abordé avec un regard neuf, sans attente particulière.
Paul Auster nous embarque dans la première partie du roman dans une équipée improbable à Baltimore : Willy, le maître de Mr Bones, cherche à retrouver son ancienne professeure de lettres pour lui confier ses écrits. Willy et son chien vivent sans domicile, même si cela n'a pas toujours été le cas, et le chien partage la vie de cet humain qu'il aime depuis sept ans. Certes, leur quotidien est parfois difficile ou emberlificoté, mais Willy a une personnalité étonnante et attachante, il parle sans retenue à son fidèle Mr Bones, il invente pour lui toutes sortes de récits et facéties. Ils font la paire et la vie est belle, quoi qu'il arrive.
Alors qu'ils errent dans les rues de Baltimore avec une adresse mais aucun moyen de la trouver, Mr Bones s'inquiète pour la santé de son maître, rattrapé par une mauvaise toux. Les réminiscences vont bon train, et nous découvrons un Willy jeune homme frappé par la schizophrénie, peu adapté au monde et peu désireux de l'habiter comme ses contemporains, mais plein d'idées, de visions, en un mot de génie. Entre souvenirs et rêves prémonitoires, Mr Bones ne sait plus vraiment où il se situe, ni quelle sera la prochaine étape. Quelle sera sa vie si son maître disparaît, lui qui n'imagine même pas vivre sans lui ?
Le lecteur entre avec la plus grande facilité dans la conscience et les perceptions d'un chien, à travers un récit classique à la troisième personne, avec juste ce qu'il faut de tournures orales pour que nous adhérions sans faillir à ses émotions, dans les aventures qui s'ensuivent, durant quelques semaines, mois ou années. Il devient Cal, ou bien Sparky, rêve des Édens canins, mais toujours le ver est dans le fruit. Dans la vie d'un chien normal, le spectre de la servitude se dresse telle une ombre gigantesque derrière les silhouettes aimées. Mr Bones, fidèle à sa vieille identité, cherche à apprendre, s'adapte avec toute son intelligence, sa patience, donne sans compter. Il rencontre de belles personnes, et nous apprenons au passage ce qui rend proprement un chien heureux.
J'ai beaucoup aimé ce roman qui fait réfléchir à la différence, au lien entre les êtres qui transcende les espèces, au langage possible qui les unit ; c'est aussi une belle réflexion sur la mort et l'au-delà, ce fameux Tombouctou. Nous ne pouvons que nous attacher à ce brave Mr Bones, courageux comme il est, animé d'une force d'amour peu commune, capable de donner des leçons de vie et de bonheur à chacun. Même si le roman peut induire par endroits une certaine confusion, voire des omissions regrettables, ou encore si le mode de vie choisi par Willy peut paraître extrême, Paul Auster nous en dit long sur la société, la liberté, les prisons involontaires dans lesquelles on s'enferme, et la poésie que la moindre scène peut nous faire vivre, que le moindre parfum peut nous faire inhaler. Vivons, comme des chiens ou avec des chiens, mais vivons ! 4,5/5
Citations :
Tout bien pesé, la seule chose étonnante était qu'il n'eût pas mieux appris à parler, lui aussi. Ce n'était pas faute de sérieux efforts, mais la biologie était contre lui, et vu la configuration du museau, des crocs et de la langue dont le destin l'avait affublé, le mieux qu'il pût faire était d'émettre une série de jappements, ululements et glapissements, un discours plutôt flou et confus. (page 15)
Son maître était un homme pourvu d'un cœur de chien. C'était un baladeur, un soldat de fortune prêt à tout, un bipède unique en son genre qui improvisait les règles en cours de route. (page 39)
Si c'était là qu'allait Willy, c'était là qu'il voulait aller, lui aussi. Quand le moment viendrait pour lui de se séparer de ce monde, il ne paraissait que juste qu'il fût autorisé à résider dans l'au-delà en compagnie de celui qu'il avait aimé dans l'en-deça. (page 63)
Et le poète ? Tombé quelque part entre les deux, je suppose, dans l'intervalle entre le meilleur et le pire de moi. Ni saint, ni bouffon ivrogne. L'homme qui entendait des voix dans sa tête, celui qui réussissait parfois à écouter les conversations des pierres et des arbres, qui parvenait de temps à autre à mettre en paroles la musique des nuages. Dommage que je n'aie pas pu être lui plus souvent. (page 74)
Mais la vérité mon ami, c'est que les chiens sont capables de lire. Sinon pourquoi afficherait-on ces avis aux portes de bureaux de poste ? CHIENS NON ADMIS A L'EXCEPTION DES CHIENS D'AVEUGLES. Tu comprends ce que je veux dire ? L'homme au chien ne voit pas, comment pourrait-il lire l'avis ? Et si lui ne peut pas le lire, qui reste-t-il ? C'est ça qu'ils font dans ces écoles spéciales. Simplement on ne nous le dit pas. Ça reste un secret, et au jour d'aujourd'hui c'est l'un des trois ou quatre secrets les mieux gardés d'Amérique. Pour une bonne raison. Si ça s'ébruitait, pense un peu à ce qui arriverait. Les chiens, aussi intelligents que les hommes ? Quel blasphème ! Il y aurait des émeutes dans les rues, on bouterait le feu à la Maison-Blanche, la pagaille règnerait. Dans les trois mois, les chiens réclameraient leur indépendance. Des délégations se réuniraient, des négociations seraient entreprises, et à la fin on réglerait ça en abandonnant le Nebraska, le Dakota du Sud et la moitié du Kansas. On en expulserait les populations humaines pour laisser la place aux chiens, et dès lors le pays serait divisé en deux. Les États-Unis des Gens et la République indépendante des Chiens. (page 99)
C'était la première fois (...) qu'il était capable de penser à ces choses sans se sentir écrasé de chagrin, la première fois qu'il comprenait que la mémoire est un lieu, un lieu réel que l'on peut visiter, et que passer un petit moment parmi les morts ne faisait pas nécessairement de mal, qu'en vérité cela pouvait être une source de consolation et de bonheur considérables. (page 138)
Il était un chien fait pour la compagnie, pour les échanges de la vie partagée, il avait besoin qu'on le touche et qu'on lui parle, besoin de faire partie d'un monde qui ne comprenait pas que lui. (page 164)
Willy ne l'avait jamais abandonné. Pas une seule fois, en aucune circonstance, et il n'était pas habitué à ce qu'on le traite ainsi. Il avait sans doute été gâté, mais selon son credo personnel, le bonheur canin ne dépendait pas seulement du sentiment d'être désiré. Il fallait aussi se sentir nécessaire. (page 191)
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