[Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
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[Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
Dans l'abîme du temps
Howard Phillips Lovecraft
Présence du futur, éditions Denoël
8 décembre 1980 (1ère édition en 1954)
Traduit de l'anglais américain par Jacques Papy
221 pages
Howard Phillips Lovecraft
Présence du futur, éditions Denoël
8 décembre 1980 (1ère édition en 1954)
Traduit de l'anglais américain par Jacques Papy
221 pages
Résumé de couverture :
Les quatre récits qui composent ce recueil sont moins des nouvelles au sens courant du terme que de nouvelles vues sur le monde extraordinaire et terrifiant créé par Lovecraft.
L'humanité y est aux prises avec les êtres surnaturels, maîtres de la terre avant l'arrivée des hommes, qui tentent de recouvrer leur suprématie perdue.
Faisant appel aux images, aux mythes, aux récits de toutes les traditions, Lovecraft compose des philtres qui n'ont pas cessé depuis trente-cinq ans de bouleverser les esprits.
Mon avis :
et moi, c'est déjà une vieille histoire : j'ai découvert l'auteur durant mes études d'anglais, dont le thème était le genre fantastique ; j'y suis revenue il y a un an, avec le recueil Le Mythe de Cthulhu. Il existe une aura autour de cet auteur, qui, n'ayant malheureusement publié qu'un seul récit de son vivant, deviendra une référence majeure de la littérature populaire.
Selon moi, Lovecraft est cependant toujours méconnu, sauf par ses lecteurs : c'est avant tout un immense écrivain au style classique et affirmé, unique en son genre de par l'élégance de la phrase, la précision du vocabulaire. Jacques Papy lui rend d'ailleurs justice par sa traduction. On le dit maître de l'horreur, expression qui découle d'une classification des genres anglo-saxonne, car en littérature française, l'équivalent est vraiment le genre fantastique, défini comme l'intrusion dans le réel d'un événement évoquant de prime abord le surnaturel, sans qu'on puisse trancher entre les deux explications. On devine aisément que c'est d'une écriture "sur le fil" qu'il est question, pour être capable de tenir cette fondamentale ambiguïté entre surnaturel et rationnel. Lovecraft inclut dans ses récits des thématiques scientifiques telles que le continuum espace-temps d'Einstein, mais aussi des sciences occultes. Je suis partiale, mais c'est fascinant à lire.
La première nouvelle, Dans l'abîme du temps, fait penser à un rêve éveillé : un économiste distingué de l'Université Miskatonic - fictive, elle se situe également dans la ville fictive d'Arkham, située non loin de Salem dans le Massachussetts - se réveille après cinq ans d'amnésie, la tête pleine de pseudo-souvenirs, et surtout de rêves de plus en plus précis, dans lesquels il explore un monde étrange, une civilisation totalement différente de la nôtre... Nathaniel Wingate Peaslee reprend alors ses cours, mais se forme en même temps à la psychologie et recherche dans les mythes et le folklore les plus anciens des références à ses visions nocturnes. C'est ainsi qu'il aura l'occasion d'entreprendre des fouilles en Australie septentrionale, jusqu'à dégager de mystérieux blocs, et peut-être rapporter un objet qui prouverait la véracité du monde antédiluvien entrevu dans ses rêves...
Dans La Maison de la sorcière, Lovecraft poursuit cette thématique de l'histoire et des légendes, avec un récit centré sur la sorcellerie : le jeune étudiant mathématicien Walter Gilman emménage dans la maison ayant appartenu à une célèbre sorcière, Keziah Mason, connue pour être toujours accompagnée d'un être fabuleux, passeur psychopompe, un rat à tête d'humain. Bien sûr, la sorcière apparait progressivement dans les rêves de Gilman, ce dernier croyant être en proie à des accès de somnambulisme cherche à s'en prémunir, et se fait aider par un autre locataire de ses amis. Mais la nuit de Walpurgis approche, et les visions se multiplient... Que faire ?
Faut-il présenter L'Appel de Cthulhu ? le petit-neveu du Professeur Angell reprend les études de son grand-oncle, sur des rêves et comportements étranges survenus en divers endroits du monde à la même période, chez un jeune sculpteur de Providence (ville natale de l'auteur) qui a gravé les éléments de sa vision sur une plaque d'argile, un bas-relief à la gloire d'une idole monstrueuse, accompagné de mystérieuses paroles dans une langue inconnue. Or, un inspecteur de police, quelques années plus tôt, avait arrêté les sectateurs d'un culte appelant à des sacrifices humains, et découvert le même type de statuette annonçant le réveil de Cthulhu, dans la ville morte de R'lyeh. Un dernier récit, à partir d'un article de journal australien, donnera l'explication de ces événements, faisant trembler pour le genre humain...
Enfin, le recueil se clôt de façon magistrale avec la nouvelle Les Montagnes hallucinées, incroyable récit d'une expédition polaire dans l'Antarctique. le projet scientifique tourne à la catastrophe, et les deux témoins survivants jurent de ne jamais rien révéler de leurs découvertes ultérieures dans une mégapole abandonnée. Ici, un petit air du Monde perdu de Conan Doyle nous attend au tournant de mystérieuses catacombes, d'un réseau de passages souterrains et de cavernes, au sein d'une ville "cyclopéenne" datant de millions d'années, et fondée par une civilisation disparue venant de l'espace. Les traîneaux à chiens y côtoient la science la plus incroyable, et même des pingouins albinos géants... J'ai adoré cette nouvelle complètement incroyable, mais toujours rationnelle et précisément descriptive. Lovecraft y est à l'apogée du mythe qu'il a créé autour des Grands Anciens.
Tout au long de ces quatre nouvelles, Lovecraft saura allier l'histoire d'époques reculées et la science-fiction, avec une maîtrise remarquable des récits enchâssés, témoignages ou même articles de journaux ; il va jusqu'à faire référence à des ouvrages interdits fictifs, comme le Necronomicon de l'Arabe dément Abdul al Azred, qui ferait déjà état de l'existence des Grands Anciens. Les récits sont à la jonction du récit d'aventure, comme ceux du professeur Challenger de Conan Doyle, mais aussi de la science-fiction. On voit que Lovecraft avait de solides connaissances mathématiques et scientifiques, ainsi que biologiques, géologiques : il a su les intégrer pleinement à la création de ses mythes. Je n'ai qu'un regret en refermant ce recueil : qu'il n'ait pas connu Tolkien, étant mort à 47 ans en 1937.
Préciserai-je que cette lecture est un coup de cœur ? C'était aussi le cas du Mythe de Cthulhu, dont j'ai malencontreusement perdu la critique que j'en ai écrit. 5/5
Citations :
Si tout cela est vrai, il n'y a plus aucun espoir : sur le monde des hommes pèse une ombre effroyable issue de l'abîme du temps. "Dans l'abîme du temps", page 73.
À la base de tout, il y avait l'horreur de la vieille cité plongée dans ses noires méditations, et la mansarde moisie, hantée de lugubres fantômes, où il poursuivait ses études, luttant pendant des heures contre chiffres et formules pour chercher ensuite un sommeil agité sur son petit lit de fer. "La Maison de la sorcière", page 75.
J'ai contemplé tout ce que l'univers peut renfermer d'horreur ; désormais le ciel du printemps et les fleurs de l'été me paraîtront imprégnés de poison. "L'appel de Cthulhu", page 142.
Le public ajouta foi à nos informations ; d'ailleurs, je puis affirmer que, malgré notre horreur et notre détresse, nous n'avons jamais fait une seule entorse à la vérité. Si nous avons menti, c'est par omission ; c'est parce que nous n'avons pas osé dire alors ce que je me décide à révéler aujourd'hui pour tâcher d'éviter à d'autres des terreurs innommables. "Les montagnes hallucinées", page 166.
Dernière édition par elea2020 le Dim 8 Déc 2024 - 12:04, édité 3 fois
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
Même si L'appel de Cthulhu n'a pas volé sa célébrité, je regrette un peu qu'il domine à ce point l'image qu'on a conservé de l'auteur après sa mort. L'univers de Lovecraft est loin de se réduire à des grands anciens qui sommeillent en attendant l'heure de leur retour et à des cultistes qui pratiquent des rituels horribles en leur honneur.
Dans l'abîme du temps est peut-être la nouvelle où l'auteur utilise de la façon la plus éloquente un thème qui lui était cher : celui de l'insignifiance humaine à l'échelle cosmique. Le protagoniste s'y retrouve confronté à la grande race de Yith, pour laquelle l'existence entière de l'humanité n'est littéralement qu'un détail parmi bien d'autres.
Les montagnes hallucinées est marquant pour la façon dont Lovecraft décrit une civilisation inhumaine avec - pour une fois - moins d'effroi que de fascination. C'est aussi là qu'on découvre avec le plus de détails les shoggoths, qui font partie des créatures les plus mémorables inventées par l'auteur.
La maison de la sorcière est à mon avis le moins mémorable des quatre textes, ce qui ne veut pas dire qu'il soit déplaisant à lire. À noter qu'une adaptation en jeu vidéo de la nouvelle est parue l'an dernier (seulement en anglais). Je n'ai pas encore fini d'y jouer, mais ce que j'en ai vu est plutôt sympathique.
Dans l'abîme du temps est peut-être la nouvelle où l'auteur utilise de la façon la plus éloquente un thème qui lui était cher : celui de l'insignifiance humaine à l'échelle cosmique. Le protagoniste s'y retrouve confronté à la grande race de Yith, pour laquelle l'existence entière de l'humanité n'est littéralement qu'un détail parmi bien d'autres.
Les montagnes hallucinées est marquant pour la façon dont Lovecraft décrit une civilisation inhumaine avec - pour une fois - moins d'effroi que de fascination. C'est aussi là qu'on découvre avec le plus de détails les shoggoths, qui font partie des créatures les plus mémorables inventées par l'auteur.
La maison de la sorcière est à mon avis le moins mémorable des quatre textes, ce qui ne veut pas dire qu'il soit déplaisant à lire. À noter qu'une adaptation en jeu vidéo de la nouvelle est parue l'an dernier (seulement en anglais). Je n'ai pas encore fini d'y jouer, mais ce que j'en ai vu est plutôt sympathique.
Outremer- Apprenti
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
Merci pour ton avis.
D'habitude Lovecraft ne me fait pas vraiment peur, mais dans Les Montagnes hallucinées, j'ai eu quelques sueurs froides à cause des shoggoths...
D'habitude Lovecraft ne me fait pas vraiment peur, mais dans Les Montagnes hallucinées, j'ai eu quelques sueurs froides à cause des shoggoths...
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
J'ai lu deux ou trois de ces récits, notamment l'Appel de Cthulhu. J'en ai gardé comme il se doit un souvenir horrifié et fasciné, mais également un certain malaise. La manière dont les choses sont présentées, le mélange de données scientifiques et ésotériques, et sans doute le talent de l'auteur, m'ont fait me questionner sur la fascination de Lovecraft lui-même pour ces histoires et son degré d'adhésion. Quoi qu'il en soit, c'est bien écrit et sinistrement addictif.
Alise- Membre assidu
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
@Alise, je me suis posé aussi des questions sur les visions et les obsessions de l'auteur, qui peut-être vivait un peu trop seul et environné de passé...
@Cassiopée, c'est super d'avoir regroupé les ouvrages de Lovecraft, merci vraiment pour ce travail !
@Cassiopée, c'est super d'avoir regroupé les ouvrages de Lovecraft, merci vraiment pour ce travail !
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
elea2020 a écrit:
@Cassiopée, c'est super d'avoir regroupé les ouvrages de Lovecraft, merci vraiment pour ce travail !
C'est une idée du staff, quand on a vu tous les sujets de cet auteur, on s'est dit qu'il lui fallait un post dédié.
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Cassiopée- Admin
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
Oui, c'est bien pour lui... Il le vaut bien !
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
elea2020 a écrit:@Alise, je me suis posé aussi des questions sur les visions et les obsessions de l'auteur, qui peut-être vivait un peu trop seul et environné de passé...
D'après sa fiche wikipédia, Lovecraft était profondément impressionné par l'idée de l'insignifiance de l'homme, que les progrès de la science rendaient à ses yeux frappante. D'où peut-être la conception dans son esprit d'un monde -et de ses habitants monstrueux- ayant précédé le nôtre ?
Alise- Membre assidu
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Re: [Lovecraft, Howard Phillips] Dans l'abîme du temps
Alise a écrit:elea2020 a écrit:@Alise, je me suis posé aussi des questions sur les visions et les obsessions de l'auteur, qui peut-être vivait un peu trop seul et environné de passé...
D'après sa fiche wikipédia, Lovecraft était profondément impressionné par l'idée de l'insignifiance de l'homme, que les progrès de la science rendaient à ses yeux frappante. D'où peut-être la conception dans son esprit d'un monde -et de ses habitants monstrueux- ayant précédé le nôtre ?
Oui, tu as raison, avec le vertige d'un temps incommensurable, qui défile en millions d'années et donne le vertige. C'est un peu le même effet que de penser à l'univers.
elea2020- Grand sage du forum
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