[Scliar, Moacyr] Max et les fauves
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Votre avis sur ce livre :
[Scliar, Moacyr] Max et les fauves
Max et les fauves
Moacyr Scliar
Editions Folies d'encre, 1981
74 pages
Résumé de IVe de couverture :
Jeune Berlinois contraint de fuir l'Allemagne pour échapper aux Nazis, Max s'embarque sur un cargo en route pour le Brésil avec à son bord les pensionnaires d'un zoo. Max échappe in extremis au naufrage du navire en sautant dans un canot. Dans ce canot, un autre passager s'impose, inattendu et menaçant : un jaguar. Max et le jaguar vont devoir cohabiter en pleine mer.
Chef-d'oeuvre du "réalisme magique" sud-américain, aujourd'hui classique de la littérature brésilienne contemporaine, l'aventure de Max conduit le lecteur de Berlin jusqu'au Brésil, mais bien loin d'une tranquille épopée ensoleillée : qui sont ces fauves auxquels Max, toute sa vie, sera confronté ? Max sortira-t-il vainqueur de ce combat ?
Aussi court et efficace que Cacao de Jorge Amado, Max et les fauves est un écho romanesque aux Origines du totalitarisme de Hannah Arendt, visité par l'imaginaire d'un Italo Calvino.
Moacyr Scliar est né à Porto Alegre (Brésil) en 1937. Traduit dans le monde entier, il est l'auteur d'une œuvre extrêmement diverse et fournie, tout autant inspirée par la bible et les blagues juives que par la bande dessinée, les faits divers ou ceux du quotidien.
Mon avis sur le livre :
J'ai beaucoup apprécié ce roman, qui appartient à un genre difficile : le roman bref, et donc nécessairement stylisé. Le parcours de Max est relativement linéaire, de l'Allemagne qu'il fuit au Brésil dont il rêvait enfant, et dont la jungle et ses fauves peuplaient l'imaginaire. En même temps, toute une vie ou presque tient dans ces 74 pages bien tassées : Max "fait sa vie" au Brésil, et l'Allemagne, qu'il croit désormais loin, se rappellera toutefois à ses cauchemars, comme le jaguar avec qui il a partagé un canot au beau milieu de l'océan…
Au départ, Max est un jeune homme, fils de fourreur (non juif, a priori, d'ailleurs son père n'aime pas les Juifs), d'une nature sensible et craintive, semblable en cela à sa mère, alors que son père est une brute qui le rudoie et le méprise. Enfant, il aime à s'enfermer dans la remise et lire, allongé sur les peaux de félins, premier contact avec les fauves de sa vie. Jeune homme, il est obligé de quitter l'Allemagne à la montée du nazisme, à cause d'une trahison. C'est en s'embarquant sur un cargo qu'il gagnera le Brésil - premier signe du destin, car enfin, il va connaître ce pays mythique, dont il a entendu parler par son mentor à l'université, le professeur Kuntz, qui étudie la psychologie en jetant des Tziganes du haut d'un avion… L'humour de l'auteur est parfois féroce, autant qu'il a l'art du symbole, du détail juste, qui donne vie au récit.
La suite, on la connaît, j'ai envie de dire "malheureusement" : j'aurais voulu découvrir ce beau roman avant L'Histoire de Pi ! En fait, l'épisode, quoiqu'il soit d'une douloureuse beauté, paraît ensuite trop court à côté de toutes les aventures que vivent le jeune Pi et Richard Parker. L'aventure qui concerne Max comporte exactement les mêmes ingrédients, mais d'une manière beaucoup plus ramassée (une vingtaine de pages). Il a moins à se creuser la tête pour sauver sa vie, car tout est là, dans le canot. Il lui faut toutefois pêcher pour l'animal, et tenter de faire bon ménage avec lui. Le jaguar est beau et mystérieux, distant et proche à la fois.
J'ai dû dans un premier temps presque me forcer pour accepter de lire la seconde moitié du roman, lorsqu'il s'installe au Brésil et y organise sa vie, rencontrant une jeune Indienne dont il tombe amoureux. J'avais l'impression que, s'il se séparait du jaguar, le reste n'avait plus grand intérêt… Et pourtant ! La force de ce récit va au-delà de la fable de l'histoire de Pi, la conclusion en est plus universelle, en même temps qu'elle constitue une rédemption par rapport à l'époque sombre du nazisme.
C'est le type de récit qui a un double effet : le plaisir simple à la lecture d'une bonne histoire avec une écriture soignée (et une bonne traduction), et ensuite, des passages qui remontent, des mots et des images qui reviennent et font mouche ; le roman est beaucoup plus puissant qu'il ne le paraît à la première lecture. Je pense qu'il fait partie de ceux qui peuvent être lus et relus, tout en gardant leur pureté originelle, un roman d'aventure puissant avec un regard sur la condition humaine tout entière.
Citations :
"Le jaguar semblait rassasié. Il restait encore trois poissons dans le fond de la barque, de petite taille. Se pourrait-il que… ?
Très doucement, il approcha sa main.
Le jaguar le fixait, impassible.
Les doigts de Max progressèrent de quelques millimètres, stoppèrent ; s'avancèrent encore de quelques millimètres, stoppèrent de nouveau. Maintenant, ils touchaient au but.
Soudain, le jaguar posa sa patte sur les poissons. Effrayé, Max tomba en arrière. Il se redressa, fixa de nouveau le jaguar, vexé, les yeux dilatés. "Excuse-moi, ce n'est pas ce que tu croyais." (page 35)
"Pour toutes ces raisons, ce ne fut pas un de ces coups de foudre que l'on voit au cinéma, mais un amour qui grandissait peu à peu, nourri par une succession de moments intimes : elle, rêveuse, regardant la pluie qui tombait par la fenêtre. Elle, en train de mettre un bouquet de fleurs dans un vase tout en chantonnant. Elle, pleurant silencieusement, sans que Max puisse en deviner la cause… D'abord il fut question de tendresse puis d'amour." (page 64)
Bonus :
Moacyr Scliar a ajouté une postface de dix pages pour revenir sur la controverse du "plagiat" de L'Histoire de Pi : l'auteur a lu le livre de Yann Martel, il en dit du bien, et se conduit de manière noble par rapport à cet emprunt (cela arrive dans la littérature). Il note toutefois que l'auteur aurait pu mentionner son livre en y faisant référence. Pour ma part, cela m'a déçue de la part de Yann Martel, d'autant plus que je trouvais cette idée de départ extraordinaire - pour moi, elle fait beaucoup. Cela n'empêche pas le talent de Yann Martel : du reste, Moacyr Scliar évoque le fait qu'ils ont pris des orientations totalement différentes, et aboutissent à deux œuvres bien distinctes.
Moacyr Scliar
Editions Folies d'encre, 1981
74 pages
Résumé de IVe de couverture :
Jeune Berlinois contraint de fuir l'Allemagne pour échapper aux Nazis, Max s'embarque sur un cargo en route pour le Brésil avec à son bord les pensionnaires d'un zoo. Max échappe in extremis au naufrage du navire en sautant dans un canot. Dans ce canot, un autre passager s'impose, inattendu et menaçant : un jaguar. Max et le jaguar vont devoir cohabiter en pleine mer.
Chef-d'oeuvre du "réalisme magique" sud-américain, aujourd'hui classique de la littérature brésilienne contemporaine, l'aventure de Max conduit le lecteur de Berlin jusqu'au Brésil, mais bien loin d'une tranquille épopée ensoleillée : qui sont ces fauves auxquels Max, toute sa vie, sera confronté ? Max sortira-t-il vainqueur de ce combat ?
Aussi court et efficace que Cacao de Jorge Amado, Max et les fauves est un écho romanesque aux Origines du totalitarisme de Hannah Arendt, visité par l'imaginaire d'un Italo Calvino.
Moacyr Scliar est né à Porto Alegre (Brésil) en 1937. Traduit dans le monde entier, il est l'auteur d'une œuvre extrêmement diverse et fournie, tout autant inspirée par la bible et les blagues juives que par la bande dessinée, les faits divers ou ceux du quotidien.
Mon avis sur le livre :
J'ai beaucoup apprécié ce roman, qui appartient à un genre difficile : le roman bref, et donc nécessairement stylisé. Le parcours de Max est relativement linéaire, de l'Allemagne qu'il fuit au Brésil dont il rêvait enfant, et dont la jungle et ses fauves peuplaient l'imaginaire. En même temps, toute une vie ou presque tient dans ces 74 pages bien tassées : Max "fait sa vie" au Brésil, et l'Allemagne, qu'il croit désormais loin, se rappellera toutefois à ses cauchemars, comme le jaguar avec qui il a partagé un canot au beau milieu de l'océan…
Au départ, Max est un jeune homme, fils de fourreur (non juif, a priori, d'ailleurs son père n'aime pas les Juifs), d'une nature sensible et craintive, semblable en cela à sa mère, alors que son père est une brute qui le rudoie et le méprise. Enfant, il aime à s'enfermer dans la remise et lire, allongé sur les peaux de félins, premier contact avec les fauves de sa vie. Jeune homme, il est obligé de quitter l'Allemagne à la montée du nazisme, à cause d'une trahison. C'est en s'embarquant sur un cargo qu'il gagnera le Brésil - premier signe du destin, car enfin, il va connaître ce pays mythique, dont il a entendu parler par son mentor à l'université, le professeur Kuntz, qui étudie la psychologie en jetant des Tziganes du haut d'un avion… L'humour de l'auteur est parfois féroce, autant qu'il a l'art du symbole, du détail juste, qui donne vie au récit.
La suite, on la connaît, j'ai envie de dire "malheureusement" : j'aurais voulu découvrir ce beau roman avant L'Histoire de Pi ! En fait, l'épisode, quoiqu'il soit d'une douloureuse beauté, paraît ensuite trop court à côté de toutes les aventures que vivent le jeune Pi et Richard Parker. L'aventure qui concerne Max comporte exactement les mêmes ingrédients, mais d'une manière beaucoup plus ramassée (une vingtaine de pages). Il a moins à se creuser la tête pour sauver sa vie, car tout est là, dans le canot. Il lui faut toutefois pêcher pour l'animal, et tenter de faire bon ménage avec lui. Le jaguar est beau et mystérieux, distant et proche à la fois.
J'ai dû dans un premier temps presque me forcer pour accepter de lire la seconde moitié du roman, lorsqu'il s'installe au Brésil et y organise sa vie, rencontrant une jeune Indienne dont il tombe amoureux. J'avais l'impression que, s'il se séparait du jaguar, le reste n'avait plus grand intérêt… Et pourtant ! La force de ce récit va au-delà de la fable de l'histoire de Pi, la conclusion en est plus universelle, en même temps qu'elle constitue une rédemption par rapport à l'époque sombre du nazisme.
C'est le type de récit qui a un double effet : le plaisir simple à la lecture d'une bonne histoire avec une écriture soignée (et une bonne traduction), et ensuite, des passages qui remontent, des mots et des images qui reviennent et font mouche ; le roman est beaucoup plus puissant qu'il ne le paraît à la première lecture. Je pense qu'il fait partie de ceux qui peuvent être lus et relus, tout en gardant leur pureté originelle, un roman d'aventure puissant avec un regard sur la condition humaine tout entière.
Citations :
"Le jaguar semblait rassasié. Il restait encore trois poissons dans le fond de la barque, de petite taille. Se pourrait-il que… ?
Très doucement, il approcha sa main.
Le jaguar le fixait, impassible.
Les doigts de Max progressèrent de quelques millimètres, stoppèrent ; s'avancèrent encore de quelques millimètres, stoppèrent de nouveau. Maintenant, ils touchaient au but.
Soudain, le jaguar posa sa patte sur les poissons. Effrayé, Max tomba en arrière. Il se redressa, fixa de nouveau le jaguar, vexé, les yeux dilatés. "Excuse-moi, ce n'est pas ce que tu croyais." (page 35)
"Pour toutes ces raisons, ce ne fut pas un de ces coups de foudre que l'on voit au cinéma, mais un amour qui grandissait peu à peu, nourri par une succession de moments intimes : elle, rêveuse, regardant la pluie qui tombait par la fenêtre. Elle, en train de mettre un bouquet de fleurs dans un vase tout en chantonnant. Elle, pleurant silencieusement, sans que Max puisse en deviner la cause… D'abord il fut question de tendresse puis d'amour." (page 64)
Bonus :
Moacyr Scliar a ajouté une postface de dix pages pour revenir sur la controverse du "plagiat" de L'Histoire de Pi : l'auteur a lu le livre de Yann Martel, il en dit du bien, et se conduit de manière noble par rapport à cet emprunt (cela arrive dans la littérature). Il note toutefois que l'auteur aurait pu mentionner son livre en y faisant référence. Pour ma part, cela m'a déçue de la part de Yann Martel, d'autant plus que je trouvais cette idée de départ extraordinaire - pour moi, elle fait beaucoup. Cela n'empêche pas le talent de Yann Martel : du reste, Moacyr Scliar évoque le fait qu'ils ont pris des orientations totalement différentes, et aboutissent à deux œuvres bien distinctes.
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Date d'inscription : 02/01/2020
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