[Taubira, Christiane] Nuit d'épine
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[Taubira, Christiane] Nuit d'épine
Nuit d'épine
Christiane Taubira
Edition Plon, 2019
300 pages
ISBN : 978-2-259-27865-2
Résumé de IVe de couverture :
La nuit, chacun la voit, la vit, la sent, l'apprivoise à sa manière. De celle de Guyane, trouée d'un faible lampadaire sous la lueur duquel, enfant, à la faveur de la moiteur et du silence, elle allait lire en cachette, à celle qui lui permettait de régler ses comptes avec les péchés capitaux que les religieuses lui faisaient réciter dans la journée, la nuit a souvent été, pour Christiane Taubira, une complice, une alliée, une sorte de soeur intime, un moment particulier.
C'est la nuit des chansons qu'on adore et dévore, la nuit du sommeil qui refuse qu'on annonce la mort d'une mère, la nuit des études passionnées et des yeux en feu à force de scruter les auteurs sacrés, la nuit qui ouvre sur les petits matins des métros bougons et racistes. C'est aussi la nuit des militantismes, de la Guyane qui se révolte, des combats furieux à l'Assemblée autour du mariage pour tous - un cathéter au bras et le courage en bandoulière. C'est enfin la nuit d'un tragique vendredi 13, bientôt suivie de celle où l'on décide d'un adieu.
Ces nuits des espoirs, des questions, des inquiétudes parfois, des colères aussi sont un roman du vrai. Un récit littéraire où l'auteur montre que la vie est souvent plus forte, inventive, poétique, envoûtante, dure, terrible que bien des fictions.
Mon avis :
Christiane Taubira nous livre ici un "récit littéraire" certes autobiographique, mais surtout magnifié par son exigence d'écriture, parfois même un peu difficile à suivre. Elle use d'une telle précision de vocabulaire dans la description de la nuit d'origine, durant l'enfance en Guyane, que j'ai envisagé de faire des listes pour jouer aux animaux ou règne végétal de A à Z...
Chaque chapitre relate une nuit particulière dans sa vie de femme, et surtout bien sûr, de femme politique. J'admirais déjà la Ministre de la Justice et garde des Sceaux, celle qui a impulsé et porté des lois importantes, comme celle sur la reconnaissance de l'esclavage, ou celle du mariage des couples homosexuels. Ici, j'ai découvert une femme de conviction, une femme plus que cultivée, vraiment érudite, mais aussi une femme qui a eu le courage de ses convictions. Ainsi, une nuit elle marche dans les broussailles pour retrouver, le temps d'un éclair, son mari, militant indépendantiste recherché, en portant son fils contre elle. C'est dangereux, elle est surveillée, mais elle marche, à l'écoute des bruits qui pourraient l'alerter.
Elle raconte encore une nuit sur le fleuve Maroni, en Guyane, alors qu'elle descend par un train de bateaux pour tester un convoi scolaire. Elle combat les aberrations administratives : les enfants peuvent aller à l'école en bateau, mais comme les fleuves ne sont légalement pas navigables, les compagnies d'assurance n'assurent pas. Elle raconte aussi les nuits à l'Assemblée Nationale, lorsqu'elle a défendu la loi pour le mariage des homosexuels, alors qu'elle était vilipendée, même menacée. Ou encore la nuit du Bataclan, la réaction rapide des médecins pour évacuer les blessés... Parfois, les nuits sont plus douces, comme celle de l'International Jazz Day à la Maison Blanche, avec le couple Obama, dans les jardins alentour.
Christiane Taubira revient souvent sur ce qui lui tient à coeur : les injustices coloniales envers son pays (la cité spatiale pour laquelle on a exproprié des villages entiers, le trafic de l'or, la déforestation...), l'esclavage, le racisme ordinaire, et bien sûr la justice, la Constitution, la Déclaration des Droits de l'Homme, les lois. Elle cite à l'appui les poètes, les écrivains (là encore, on pourrait faire des listes, et cela me décide à lire les auteurs de la francophonie), les hommes politiques, elle trouve des musiques et paroles pour les moments traversés. Elle est très mélomane : classique, opéra, jazz - souvent, elle quitte le ministère pour assister à un concert ou à un opéra, un film, puis retourne à une séance de nuit à l'Assemblée, ou lire des dossiers.
Je ne connais pas d'autres ouvrages d'elle, je ne savais même pas qu'elle écrivait, mais je relirai très certainement d'autres livres. Elle a vraiment une écriture très littéraire, exigeante, et raconte avec intégrité et discrétion, sans se mettre en avant, les événements, ses ressentis, perceptions et réflexions. Ce livre-là même, je le relirai volontiers, pour retrouver certains moments de grâce, des rythmes et des images.
Extraits :
"Nous naviguons parfois au beau milieu du fleuve, parfois, jamais longtemps, le long de la rive gauche et la plupart du temps le long de la rive droite. En navigation de nuit, les animaux sont plus libres. Notre vitesse n'étant pas vertigineuse, les pointes sont à quarante kilomètres à l'heure, nous apercevons des moutons paresseux qui tournent la tête à cent quatre-vingt degrés ; des babouns, étonnamment tranquilles, font les cabrioles qu'on attend d'eux ; d'inévitables chauve-souris se font remarquer, il y en a décidément partout et ici aussi elles doivent sentir mauvais ; nous voyons courir cabiaïs et agoutis, bien gras, toutes espèces absolument endémiques. Les lézards doivent jouer à la ronde avec des serpents-liane, bien loin sans doute des voraces anacondas ; on imagine des grenouilles de toutes couleurs, bien humides bien baveuses, peuhhh, on voit pour de bon deux gros-becs plutôt curieux et un couple de touis paras haut perchés fait un boucan d'enfer." (page 220)
"Ainsi vont les bavures policières aux Etats-Unis. A cette cadence, ce nombre et cette impunité, s'agit-il encore de bavures ? Ils prétendent souvent, les très rares fois où il y a enquête, qu'ils ont cru que... il allait tirer, il dissimulait quelque chose sous sa capuche, il cachait de mauvais desseins d'autant plus dangereux que rien n'en transpirait, il faisait semblant d'avoir les mains en l'air, son pistolet jouet ressemblait à un vrai colt, il allait sortir un mauser de sa poche au lieu de la pièce d'identité requise, il mentait quand il disait qu'il ne pouvait respirer... De quoi ont-ils peur ? De quels dangers se prémunissent-ils ? De quel bord viennent les assassinats depuis des lustres ? Qui tire sur qui ? Qui lynche qui ? Qui exécute qui sans risques ? Qui cherche à décimer quels jeunes mâles ?
Et qui, a contrario, expérimente au plus jeune âge l'insécurité diffuse et insensée ?" (page 287)
Christiane Taubira
Edition Plon, 2019
300 pages
ISBN : 978-2-259-27865-2
Résumé de IVe de couverture :
La nuit, chacun la voit, la vit, la sent, l'apprivoise à sa manière. De celle de Guyane, trouée d'un faible lampadaire sous la lueur duquel, enfant, à la faveur de la moiteur et du silence, elle allait lire en cachette, à celle qui lui permettait de régler ses comptes avec les péchés capitaux que les religieuses lui faisaient réciter dans la journée, la nuit a souvent été, pour Christiane Taubira, une complice, une alliée, une sorte de soeur intime, un moment particulier.
C'est la nuit des chansons qu'on adore et dévore, la nuit du sommeil qui refuse qu'on annonce la mort d'une mère, la nuit des études passionnées et des yeux en feu à force de scruter les auteurs sacrés, la nuit qui ouvre sur les petits matins des métros bougons et racistes. C'est aussi la nuit des militantismes, de la Guyane qui se révolte, des combats furieux à l'Assemblée autour du mariage pour tous - un cathéter au bras et le courage en bandoulière. C'est enfin la nuit d'un tragique vendredi 13, bientôt suivie de celle où l'on décide d'un adieu.
Ces nuits des espoirs, des questions, des inquiétudes parfois, des colères aussi sont un roman du vrai. Un récit littéraire où l'auteur montre que la vie est souvent plus forte, inventive, poétique, envoûtante, dure, terrible que bien des fictions.
Mon avis :
Christiane Taubira nous livre ici un "récit littéraire" certes autobiographique, mais surtout magnifié par son exigence d'écriture, parfois même un peu difficile à suivre. Elle use d'une telle précision de vocabulaire dans la description de la nuit d'origine, durant l'enfance en Guyane, que j'ai envisagé de faire des listes pour jouer aux animaux ou règne végétal de A à Z...
Chaque chapitre relate une nuit particulière dans sa vie de femme, et surtout bien sûr, de femme politique. J'admirais déjà la Ministre de la Justice et garde des Sceaux, celle qui a impulsé et porté des lois importantes, comme celle sur la reconnaissance de l'esclavage, ou celle du mariage des couples homosexuels. Ici, j'ai découvert une femme de conviction, une femme plus que cultivée, vraiment érudite, mais aussi une femme qui a eu le courage de ses convictions. Ainsi, une nuit elle marche dans les broussailles pour retrouver, le temps d'un éclair, son mari, militant indépendantiste recherché, en portant son fils contre elle. C'est dangereux, elle est surveillée, mais elle marche, à l'écoute des bruits qui pourraient l'alerter.
Elle raconte encore une nuit sur le fleuve Maroni, en Guyane, alors qu'elle descend par un train de bateaux pour tester un convoi scolaire. Elle combat les aberrations administratives : les enfants peuvent aller à l'école en bateau, mais comme les fleuves ne sont légalement pas navigables, les compagnies d'assurance n'assurent pas. Elle raconte aussi les nuits à l'Assemblée Nationale, lorsqu'elle a défendu la loi pour le mariage des homosexuels, alors qu'elle était vilipendée, même menacée. Ou encore la nuit du Bataclan, la réaction rapide des médecins pour évacuer les blessés... Parfois, les nuits sont plus douces, comme celle de l'International Jazz Day à la Maison Blanche, avec le couple Obama, dans les jardins alentour.
Christiane Taubira revient souvent sur ce qui lui tient à coeur : les injustices coloniales envers son pays (la cité spatiale pour laquelle on a exproprié des villages entiers, le trafic de l'or, la déforestation...), l'esclavage, le racisme ordinaire, et bien sûr la justice, la Constitution, la Déclaration des Droits de l'Homme, les lois. Elle cite à l'appui les poètes, les écrivains (là encore, on pourrait faire des listes, et cela me décide à lire les auteurs de la francophonie), les hommes politiques, elle trouve des musiques et paroles pour les moments traversés. Elle est très mélomane : classique, opéra, jazz - souvent, elle quitte le ministère pour assister à un concert ou à un opéra, un film, puis retourne à une séance de nuit à l'Assemblée, ou lire des dossiers.
Je ne connais pas d'autres ouvrages d'elle, je ne savais même pas qu'elle écrivait, mais je relirai très certainement d'autres livres. Elle a vraiment une écriture très littéraire, exigeante, et raconte avec intégrité et discrétion, sans se mettre en avant, les événements, ses ressentis, perceptions et réflexions. Ce livre-là même, je le relirai volontiers, pour retrouver certains moments de grâce, des rythmes et des images.
Extraits :
"Nous naviguons parfois au beau milieu du fleuve, parfois, jamais longtemps, le long de la rive gauche et la plupart du temps le long de la rive droite. En navigation de nuit, les animaux sont plus libres. Notre vitesse n'étant pas vertigineuse, les pointes sont à quarante kilomètres à l'heure, nous apercevons des moutons paresseux qui tournent la tête à cent quatre-vingt degrés ; des babouns, étonnamment tranquilles, font les cabrioles qu'on attend d'eux ; d'inévitables chauve-souris se font remarquer, il y en a décidément partout et ici aussi elles doivent sentir mauvais ; nous voyons courir cabiaïs et agoutis, bien gras, toutes espèces absolument endémiques. Les lézards doivent jouer à la ronde avec des serpents-liane, bien loin sans doute des voraces anacondas ; on imagine des grenouilles de toutes couleurs, bien humides bien baveuses, peuhhh, on voit pour de bon deux gros-becs plutôt curieux et un couple de touis paras haut perchés fait un boucan d'enfer." (page 220)
"Ainsi vont les bavures policières aux Etats-Unis. A cette cadence, ce nombre et cette impunité, s'agit-il encore de bavures ? Ils prétendent souvent, les très rares fois où il y a enquête, qu'ils ont cru que... il allait tirer, il dissimulait quelque chose sous sa capuche, il cachait de mauvais desseins d'autant plus dangereux que rien n'en transpirait, il faisait semblant d'avoir les mains en l'air, son pistolet jouet ressemblait à un vrai colt, il allait sortir un mauser de sa poche au lieu de la pièce d'identité requise, il mentait quand il disait qu'il ne pouvait respirer... De quoi ont-ils peur ? De quels dangers se prémunissent-ils ? De quel bord viennent les assassinats depuis des lustres ? Qui tire sur qui ? Qui lynche qui ? Qui exécute qui sans risques ? Qui cherche à décimer quels jeunes mâles ?
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