[Kahn, Michèle] Cacao
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[Kahn, Michèle] Cacao
Cacao
Michèle Kahn
Bibliophane - Daniel Radford
2003
443 pages
ISBN : 2-86970-079-2
Michèle Kahn
Bibliophane - Daniel Radford
2003
443 pages
ISBN : 2-86970-079-2
Résumé de couverture :
Comment a été découvert le xocoatl, "boisson des dieux" chez les Aztèques ? L'envoûtant Cacao nous entraîne sur la route du chocolat : du Mexique à Bayonne, en passant par Saint-Domingue. Lune, au cœur brisé par la disparition en mer de son fiancé, tient les rênes des négoces de son grand-père David Alvarez, descendant de marranes réchappés de l'Inquisition espagnole.
Mais un jour de 1761, les autorités de Bayonne défendent aux Juifs de tenir boutique et même de faire du chocolat. Piqués au vif, Lune et David décident de prouver à tous que leurs ancêtres ont été les premiers à apporter le secret du chocolat en Europe.
C'est le début d'un voyage dans les méandres de l'Histoire de l'humanité et la généalogie des Alvarez, sur les traces des conquistadors espagnols, à travers les mers des Caraïbes et les souvenirs enfouis.
L'exotisme et le mystère, alliés à une écriture vive, colorée, empreinte d'esprit et de fantaisie, enchantent l'imagination. Cacao, un récit aux attraits multiples, une fresque magistrale.
Mon avis :
Il est vrai que le sujet me plaisait d'emblée - l'histoire du chocolat - et que j'ai de bons souvenirs de Bayonne, ville près de laquelle j'ai vécu longtemps, mais même sans cela, c'est un livre très agréable et instructif, presque un roman d'aventure, touffu et plein de surprises, riches en personnages hauts en couleurs.
Nous sommes à Bayonne en 1761, et cela va mal dans le quartier Saint-Esprit, soit pas dans le centre, mais de l'autre côté du pont, là où tentent de vivoter, tant bien que mal, ceux qu'on appelle les Portugais, c'est-à-dire les Juifs. Il existait alors toute une communauté à Bayonne, exilés d'Espagne ou du Portugal où ils subissaient les foudres de l'Inquisition - cela se terminait souvent sur un bûcher. La famille de David Alvarez Sarmento vit du chocolat, presque tous ses membres en ont la passion chevillée au corps, notamment Lune, sa petite-fille. Seulement, les échevins et commerçants bayonnais "du cru" ont décidé de faire interdire tout commerce dans la ville, et de faire édicter des statuts qui ne favorisent qu'eux.
Ainsi commence un long procès, qui s'étendra jusqu'en 1766, dont nous suivons les démêlés, à la fois par des extraits de vrais documents, et par les carnets de "Pompon", c'est-à-dire Raphaël, ou "le Nabot", un Nain adopté par David, et amoureux secret de la belle Lune. Les délibérations des échevins de Bayonne ayant lieu à l'Hôtel de Ville, nous avons accès à ces temps de l'action par d'astucieux procédés, car Cacao est un roman polyphonique : le récit est mené aussi bien du point de vue de David, l'aïeul, Lune, Raphaël, que d'Adrien Gaspard, qui doit rédiger le mémoire contre les Juifs. Par Adrien nous connaissons les coulisses des menées politiques du maire et de ses édiles, des réponses des avocats ; Raphaël espionne aussi pour son compte, grâce à son avantageux métier, chasseur de rats.
Découragés, désespérés par la situation, les membres de la famille Alvarez et leur réseau familial, amical, travaillent à contrer, jusqu'à intenter une action en justice de leur côté, les sévères conditions édictées par les commerçants, et le harcèlement incessant dont ils sont victimes. A côté de cela, il y a le cacao - il faut aller le chercher sur les quais, le travailler, puis confectionner le chocolat à base de recettes éprouvées dont les Juifs ont le secret. Et justement... S'il était possible de prouver que le cacao, ce sont eux, les Juifs, qui l'ont introduit à Bayonne ? Cela ne résoudrait-il pas leurs problèmes ? C'est dans une course à l'histoire familiale qu'ils se jettent, dans l'adversité mais aussi l'amour...
Michèle Kahn fait oeuvre d'historienne et nous restitue avec bonheur le Bayonne du VIIIème siècle, c'est un régal de voir ces scènes intimes et lieux familiers se déployer sous nos yeux. L'écriture est classique, sans effets de manche, mais sensuelle et gourmande, elle nous fait ressentir les bruits, les odeurs, et surtout le goût du cacao. L'alternance de points de vue différents dans chaque chapitre rend l'ensemble rythmé, varié. J'ai été touchée par la personnalité et le malheur de Raphaël, celui qui du reste écrit le mieux, qui en dépit d'une naissance contraire, est doué, intelligent et sensible. Nous voyageons aussi dans les traditions, la culture juive, ce que j'ai trouvé intéressant, ainsi que l'élargissement à des temps historiques plus vastes, par le biais des ancêtres de David, comme la conquête des "Indes", la colonisation de Saint-Domingue, et bien sûr l'Espagne de l'Inquisition.
Je mettrais deux très légers bémols : d'une part, c'est un récit au présent, et dans un roman historique, je trouve cela dommage ; d'autre part, il faut un peu s'y retrouver dans les noms espagnols et portugais, et l'arbre généalogique de la famille. mais cela tombe bien ; il est reproduit au début du roman. Peu s'en faut que cela ait été un sans faute, et un coup de coeur inconditionnel, je vote 4,5/5.
Citations :
Cependant, malgré les humiliations qu'incarne le pont Saint-Esprit, Lune adore le traverser : long, large et solide, il s'attire l'admiration des visiteurs. Des bancs sont scellés aux rampes, où l'on s'arrête pour respirer l'air de la mer toute proche, observer au passage les voitures ou les vaisseaux battant pavillons étrangers, admirer les hautes maisons de pierre qui bordent la place Gramont.
Calèches, cabriolets, chaises à porteurs, piétons et cavaliers circulent dans une humeur joyeuse. Des carrosses se croisent à grand-fracas, filant qui vers Madrid, qui vers Paris. Venues de Capbreton, des charrettes à boeufs croulent sous le poids de corbeilles qui dégorgent de mulets landais. Les bateliers de l'Adour se chantent pouilles tandis que vocifèrent les cochers. Une cruche de terre posée sur leur tête fière, les servantes de maisons bayonnaises rapportent l'eau puisée à la fontaine de Saint-Esprit. (Page 19)
- A quel métier t'emploieras-tu si les statuts des maîtres chocolatiers sont homologués et qu'on t'interdit de faire du chocolat ?
Daniel ne s'est jamais posé la question. La réponse surgit sans qu'il ait eu le temps de la préparer, comme si un autre parlait en lui :
- Je ferai du chocolat. (page 78)
Je m'en allai aujourd'hui baguenauder dans les rues de Saint-Esprit. Il faisait un temps de demoiselle, ni pluie ni vent ni soleil. L'air retentissait de la lugubre voix de crécelle des grues qui, par troupes formant triangle, nous abandonnent en cette saison pour les contrées du sud. (page 178)
Auriez-vous imaginé pareils soins, risques, attentes, espoirs déçus ou comblés ? Pas étonnant que le chocolat passe pour le breuvage des dieux. (page 313)
elea2020- Grand sage du forum
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Re: [Kahn, Michèle] Cacao
Merci Eléa pour ta critique !
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