[Révah, Anne] L'intime étrangère
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[Révah, Anne] L'intime étrangère
Titre : L'intime étrangère
Auteur : Anne REVAH
Parution : 2021 (Mercure de France)
Pages : 136
Présentation de l'éditeur :
Tu as passé du temps dans un monde inconnu, peuplé de certitudes incongrues, monstrueuses, désorganisées et pourtant limpides, brutales et intraitables. Un monde dont tu as cru sans douter qu’il était réel, imposant, et dont la réalité fait mal à en crever. C’est arrivé. C’est aussi simple que ça, c’est arrivé. Après ça, tu vas changer, on change forcément après un voyage pareil, et puis le regard des autres sur toi va changer, ce n’est pas pareil d’avoir été folle ou de ne jamais avoir été folle.
Suzanne Reinhold est psychiatre : la maladie mentale, elle connaît bien, très bien même, mais chez les autres, ses patients. De la même façon, le « syndrome de Cotard » lui était familier, une forme grave de mélancolie délirante. Rien ne laissait présager que Suzanne passerait de l’autre côté et vivrait la folie, et plus encore la ferait vivre à ses proches.
L’intime étrangère est le récit bouleversant de cette traversée radicale. Mise à nue, exploratrice de sa propre renaissance, elle restitue avec force ce voyage à peine croyable. Femme, mère, compagne, il lui faut retrouver sa place, par delà des semaines de traitement, d’hospitalisation, les électrochocs, et les rencontres inattendues et précieuses.
Un mot sur l'auteur :
Anne Révah est née en 1967 à Paris. La lecture d’Electre de Jean Giraudoux à 12 ans, puis celle du Quatuor d’Alexandrie de Lawrence Durrell à 17 ans, lui donnent envie d’écrire. Aujourd’hui, elle est médecin à Paris. Ses deux premiers romans, Manhattan et Pôles magnétiques, ont été publiés aux éditions Arléa.
Avis :
Jamais la narratrice, psychiatre, n’aurait pensé rejoindre un jour le flot de ses patients. Et pourtant, il lui faut bien l’admettre : l’inconcevable s’est produit. Pendant des semaines dont elle a perdu quasiment tout souvenir, une autre Suzanne Reinhold s’est soudain révélée, l’aspirant dans l’obscurité cauchemardesque de la mélancolie délirante, peuplée des hallucinations d’anéantissement du syndrome de Cotard et de voix suicidaires. Revenue à elle-même et à la réalité après une hospitalisation, des électrochocs et un lourd traitement, il lui faut maintenant reprendre tant bien que mal le fil de son existence, même si, pour elle comme dans le regard des autres désormais, rien ne sera plus comme avant.
Honte et stupéfaction se disputent dans la tête de cette femme : comment, elle, médecin si sûre de sa maîtrise et de ses compétences, n’a t-elle rien vu venir et a-t-elle pu sombrer soudain dans cet autre monde qu’est la folie ? Qu’est-ce qui a bien pu d’un coup lui faire perdre pied jusqu’à l’effacer de sa propre conscience, la plongeant dans un univers distordu, tapi au plus profond d’elle-même ? Quelle est cette inconnue qu’elle est devenue à ses propres yeux, imprévisible et dangereuse pour elle-même, trouée d’insondables et terrifiantes failles cachées sous la surface, et peut-être susceptibles de l’engloutir un jour à nouveau ? Une chose est sûre : sans les découvertes de Jules Cotard à la fin du XIXe siècle, sans les traitements aujourd’hui disponibles, et sans le dévouement de sa compagne et du personnel soignant auxquels la narratrice rend un reconnaissant hommage, l’excursion au-delà des rivages de la démence aurait bien pu se transformer en voyage sans retour.
Les accents autobiographiques de la narration laissent le lecteur sous le choc de cette expérience d’une dépression hors norme, aux manifestations et aux conséquences impressionnantes. Le témoignage fait doublement froid dans le dos. D’abord, parce cette histoire fait soudain prendre conscience que la maladie mentale frappe parfois sans prévenir, et que nul, après cette lecture, ne pourra plus s’en sentir aussi sûrement préservé. Ensuite, parce que les mystères et les désordres de nos fonctionnements psychiques restent incommensurablement troublants et effrayants, qu’à défaut souvent d’y comprendre quelque chose, l’on a enfermé, et l’on continue d’enfermer, des patients qu’on ne sait libérer d’eux-mêmes et de leurs terribles souffrances. Alors, aux côtés de Suzanne, l’on s’effraie rétrospectivement du piège duquel - à peu de choses près semble-t-il, comme par exemple ne pas avoir vécu un peu plus tôt, ou ne pas s’être retrouvée lâchée par ses proches -, elle aurait bien pu ne jamais parvenir à s'échapper.
Ce livre bouleversant ne peut laisser que sans voix, soulagé du rebond de la narratrice qui devra certes réapprendre à vivre avec la conscience d’un gouffre à peine refermé sous ses pieds, mais troublé par cette effrayante possibilité, vécue par tant d’âmes, de devenir et de rester à jamais étranger à soi-même, prisonnier de ce que l’on appelle la démence. (4/5)
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