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[Bourre, Sara] Maman, la nuit

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Message par Cannetille Mer 5 Avr 2023 - 10:51

[Bourre, Sara] Maman, la nuit  Maman_10

Titre : Maman, la nuit
Auteur : Sara BOURRE
Parution :  2023 (Noir sur Blanc)
Pages : 208


Présentation de l'éditeur :
« Maman a disparu. C’est pas simple. Il a fallu le redire plusieurs fois, décomposer la phrase, la prendre et la secouer. Maman a disparu. Quelle folie de phrase. Si je la chuchote, les larmes me montent et me brûlent, si je la prononce avec une voix de fer, comme un vieux robot fatigué, ma-man-a-dis-pa-ru ma-man-a-dis-pa-ru, ça me fout la chair de poule et l’impression d’une catastrophe planétaire imminente. Si je la crie, si je la jette loin sur les routes, en plein cœur de ces villes qui scintillent et grincent sous ma peau, si je la crie si fort que ma voix casse, alors je crois que ce n’est plus vraiment triste. Pas aussi triste que ça. Je dirais plutôt affolant. Sidérant. Ou encore stupéfiant. Voilà. C’est affolant sidérant stupéfiant et ça me rend le cœur dingue, et étrangement vivant aussi. »

L’enfant écoute tout, observe tout, et avant toute chose sa mère, une fascination qui oscille entre haine et passion, dont on sent le danger, la menace, la violence des sentiments.
C’est une enfant sage, étrange. Elle a grandi robuste, comme une mauvaise herbe. Elle sent, perçoit, palpe, traque, à l’affût, toujours tapie.
Un jour, sa mère disparaît. Alors, que va-t-elle devenir ?


Le mot de l'éditeur sur l'auteur :
Sara Bourre est née à Paris en 1988. Elle a étudié les lettres modernes et la philosophie à la Sorbonne, et s’est formée en parallèle au théâtre et à la danse-théâtre. Elle se produit régulièrement sur scène avec des musiciens, dans des projets où se croisent texte, matière sonore et visuelle. Maman, la nuit est son premier roman, écrit dans le cadre du master en création littéraire de Paris-VIII.


Avis :
« Je ne suis pas finie. Il me manque encore quelque chose. Toujours quelque chose. Maman dit que je suis éparse et découpée. Elle dit aussi que je suis poisseuse et encombrante. Et laide, très laide. Je colle partout. Elle dit tu colles partout, c’est insupportable. » Si la jeune narratrice – une pré-adolescente émergeant à peine de l’enfance – est tellement suspendue, entre adoration et haine, aux variations d’humeur de sa mère, c’est qu’elle est née par accident, après un amour malheureux et une tentative d’avortement ratée, et que, chaque jour, au travers des plus ou moins non-dits qui pavent son existence, elle en observe les cruelles conséquences sur leur vie à toutes deux.

L’histoire de Maman est vieille comme le monde et quelques phrases semées d’ellipses aux reflets de puits noirs suffisent à en suggérer les abîmes. Lorsque qu’elle « n’était pas encore Maman », là-bas dans une roulotte en Espagne, elle s’est éprise d’un saltimbanque, un clown triste, torturé et violent, qui ne l’aima que mal et brièvement, avant de disparaître dans l’incendie né des vapeurs de l’alcool. La jeune amoureuse dévastée revint le coeur et les mains vides, mais le ventre gros d’un embarras que rien ne fit passer. Depuis, la mère et l’enfant vivent au bord d’un lac, en marge d’une bourgade provinciale où « les femmes se tiennent par la langue », « lourdes de haine et d’envie », tant « elles sont petites et sottes et ternes à côté de Maman – qui partout brille comme une étoile. »

Avec l’instinct d’un animal grandi comme il a pu dans le sentiment confus d’une disgrâce et d’une insécurité qui l’enjoignent à se faire petit et discret malgré sa soif de caresses, l’enfant s’imprègne, en silence et dans la crainte, des humeurs qui flottent autour d’elle et qui bornent son univers. Inaccessible et souvent méchante dans un chagrin et des désillusions que la fillette n’a que trop conscience d’incarner, cette mère n’est plus en réalité qu’une étoile morte, dont le reste d’éclat tourne peu à peu au clinquant artificiel d’une femme perdue, à mesure que ses fréquentations masculines profitent de plus en plus bassement de sa quête d’attachement amoureux. Son extravagance chaque jour plus désespérée entretient d’autant mieux la prescience d’une catastrophe imminente que l’incipit annonçait sa disparition et que, hantée par la même soif d’amour, sa fille laisse bientôt entrevoir des signes répétés et inquiétants d’une violence latente et explosive. Alors, comment tout cela va-t-il finir ?

Sara Bourre nous plonge dans la matière vivante des émotions sans jamais les formuler, empruntant à la peinture et à la poésie pour une écriture suggestive qui fait l’immense originalité et l’extrême beauté de ce premier roman. En moins de deux cents pages ciselées comme des poèmes en prose, chaque mot précis et dense de sens contribuant à un précipité d’images et de sensations presque physiques, elle incarne avec force et singularité une histoire universelle, laissant entrevoir, sous sa surface superbement stylisée, le vertige de dangereux précipices psychologiques. Un livre et une plume magnifiques, pour un immense coup de coeur. (5/5)
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